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Editions l'Escalier
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Extrait
De grand cœur, j’accepte la devise : «Le gouvernement le meilleur est celui qui gouverne le moins» et j’aimerais la voir suivie de manière plus rapide et plus systématique. Poussée à fond, elle se ramène à ceci auquel je crois également : «Le gouvernement le meilleur est celui qui ne gouverne pas du tout» et lorsque les hommes y seront préparés, ce sera le genre de gouvernement qu’ils auront.
Tout gouvernement n’est au mieux qu’une «utilité» mais la plupart des gouvernements, d’habitude, et tous les gouvernements, parfois, ne se montrent guère utiles.
Les nombreuses objections - et elles sont de taille - qu’on avance contre une armée permanente méritent de prévaloir ; on peut aussi finalement les alléguer contre un gouvernement permanent. L’armée permanente n’est que l’arme d’un gouvernement permanent. Le gouvernement lui-même - simple intermédiaire choisi par les gens pour exécuter leur volonté -, est également susceptible d’être abusé et perverti avant que les gens puissent agir par lui. Témoin en ce moment la guerre du Mexique, œuvre d’un groupe relativement restreint d’individus qui se servent du gouvernement permanent comme d’un outil ; car au départ, jamais les gens n’auraient consenti à cette entreprise.
Le gouvernement américain, qu’est-ce donc sinon une tradition, toute récente, qui tente de se transmettre intacte à la postérité, mais perd à chaque instant de son intégrité ? Il n’a ni vitalité ni l’énergie d’un seul homme en vie, car un seul homme peut le plier à sa volonté. C’est une sorte de canon en bois que se donnent les gens. Mais il n’en est pas moins nécessaire, car il faut au peuple des machineries bien compliquées - n’importe lesquelles pourvu qu’elles pétaradent - afin de répondre à l’idée qu’il se fait du gouvernement.
Les gouvernements nous montrent avec quel succès on peut imposer aux hommes, et mieux, comme ceux-ci peuvent s’en imposer à eux-mêmes, pour leur propre avantage. Cela est parfait, nous devons tous en convenir. Pourtant, ce gouvernement n’a jamais de lui-même encouragé aucune entreprise, si ce n’est par sa promptitude à s’esquiver. Ce n’est pas lui qui garde au pays sa liberté, ni lui qui met l’Ouest en valeur, ni lui qui instruit. C’est le caractère inhérent au peuple américain qui accomplit tout cela et il en aurait fait un peu plus si le gouvernement ne lui avait souvent mis des bâtons dans les roues.
Car le gouvernement est une «utilité» grâce à laquelle les hommes voudraient bien arriver à vivre chacun à sa guise, et, comme on l’a dit, plus il est utile, plus il laisse chacun des gouvernés vivre à sa guise. Le commerce et les affaires, s’ils n’avaient pas de ressort propre, n’arriveraient jamais à rebondir par-dessus les embûches que les législateurs leur tendent perpétuellement et, s’il fallait juger ces derniers en bloc sur les conséquences de leurs actes, et non sur leurs intentions, ils mériteraient d’être classés et punis au rang des malfaiteurs qui sèment des obstacles sur les voies ferrées. -
Extrait
Plus de deux mois s’écoulèrent avant que des Esseintes pût s’immerger dans le silencieux repos de sa maison de Fontenay; des achats de toute sorte l’obligeaient à déambuler encore dans Paris, à battre la ville d’un bout à l’autre.
Et pourtant à quelles perquisitions n’avait-il pas eu recours, à quelles méditations ne s’était-il point livré, avant que de confier son logement aux tapissiers !
Il était depuis longtemps expert aux sincérités et aux faux-fuyants des tons. Jadis, alors qu’il recevait chez lui des femmes, il avait composé un boudoir où, au milieu des petits meubles sculptés dans le pâle camphrier du Japon, sous une espèce de tente en satin rose des Indes, les chairs se coloraient doucement aux lumières apprêtées que blutait l’étoffe.
Cette pièce où des glaces se faisaient écho et se renvoyaient à perte de vue, dans les murs, des enfilades de boudoirs roses, avait été célèbre parmi les filles qui se complaisaient à tremper leur nudité dans ce bain d’incarnat tiède qu’aromatisait l’odeur de menthe dégagée par le bois des meubles.
Mais, en mettant même de côté les bienfaits de cet air fardé qui paraissait transfuser un nouveau sang sous les peaux défraîchies et usées par l’habitude des céruses et l’abus des nuits, il goûtait pour son propre compte, dans ce languissant milieu, des allégresses particulières, des plaisirs que rendaient extrêmes et qu’activaient, en quelque sorte, les souvenirs des maux passés, des ennuis défunts.
Ainsi, par haine, par mépris de son enfance, il avait pendu au plafond de cette pièce une petite cage en fil d’argent où un grillon enfermé chantait comme dans les cendres des cheminées du château de Lourps; quand il écoutait ce cri tant de fois entendu, toutes les soirées contraintes et muettes chez sa mère, tout l’abandon d’une jeunesse souffrante et refoulée, se bousculaient devant lui, et alors, aux secousses de la femme qu’il caressait machinalement et dont les paroles ou le rire rompaient sa vision et le ramenaient brusquement dans la réalité, dans le boudoir, à terre, un tumulte se levait en son âme, un besoin de vengeance des tristesses endurées, une rage de salir par des turpitudes des souvenirs de famille, un désir furieux de panteler sur des coussins de chair, d’épuiser jusqu’à leurs dernières gouttes, les plus véhémentes et les plus âcres des folies charnelles.
D’autres fois encore, quand le spleen le pressait, quand par les temps pluvieux d’automne, l’aversion de la rue, du chez soi, du ciel en boue jaune, des nuages en macadam, l’assaillait, il se réfugiait dans ce réduit, agitait légèrement la cage et la regardait se répercuter à l’infini dans le jeu des glaces, jusqu’à ce que ses yeux grisés s’aperçussent que la cage ne bougeait point, mais que tout le boudoir vacillait et tournait, emplissant la maison d’une valse rose.
-
Extrait
SCÈNE III
Devant le château.
Mélisande Il fait sombre dans les jardins. Et quelles forêts, quelles forêts autour des palais !...
Geneviève Oui, cela m’étonnait aussi quand je suis arrivée ici, et cela étonne tout le monde. Il y a des endroits où l’on ne voit jamais le soleil. Mais l’on s’y fait si vite... Il y a longtemps, il y a longtemps... Il y a près de quarante ans que je vis ici... Regardez de l’autre côté, vous aurez la clarté de la mer...
Mélisande J’entends du bruit au-dessous de nous...
Geneviève Oui, c’est quelqu’un qui monte vers nous... Ah ! C’est
Pelléas... Il semble encore fatigué de vous avoir attendue si longtemps...
Mélisande Il ne nous a pas vues.
Geneviève Je crois qu’il nous a vues, mais il ne sait ce qu’il doit faire... Pelléas, Pelléas, est-ce toi ?
Pelléas Oui !... Je venais du côté de la mer...
Geneviève Nous aussi, nous cherchions la clarté. Ici, il fait un peu plus clair qu’ailleurs, et cependant la mer est sombre.
Pelléas Nous aurons une tempête cette nuit : il y en a toutes les nuits depuis quelque temps... Et cependant elle est si calme ce soir... On s’embarquerait sans le savoir et l’on ne reviendrait plus...
Mélisande Quelque chose sort du port...
Pelléas Il faut que ce soit un grand navire... Les lumières sont très hautes, nous le verrons tout à l’heure quand il entrera dans la bande de clarté...
Geneviève Je ne sais si nous pourrons le voir... Il y a encore une brume sur la mer...
Pelléas On dirait que la brume s’élève lentement...
Mélisande Oui ; j’aperçois, là-bas, une petite lumière que je n’avais pas vue...
Pelléas C’est un phare ; il y en a d’autres que nous ne voyons pas encore.
Mélisande Le navire est dans la lumière... Il est déjà bien loin...
Pelléas Il s’éloigne à toutes voiles...
Mélisande C’est le navire qui m’a menée ici. Il a de grandes voiles... Je le reconnais à ses voiles...
Pelléas Il aura mauvaise mer cette nuit...
Mélisande Pourquoi s’en va-t-il cette nuit ?... On ne le voit presque plus... Il fera peut-être naufrage...
Pelléas La nuit tombe très vite...
Geneviève Il est temps de rentrer. -
Table des matières
Le coup de feu
Isidore Beautrelet, élève de rhétorique
Le cadavre
Face à face
Sur la piste
Un secret historique
Le traité de l’aiguille
De César à Lupin
Sésame, ouvre-toi
Le trésor des rois de France
Postface
Notes
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Les aventures de Sherlock Holmes
Arthur Conan Doyle
- Editions l'Escalier
- 1 Décembre 2012
- 9782355831218
Table des matières
Un Scandale en Bohême
La Ligue des Rouquins
Une Affaire d’Identité
Le Mystère de Boscombe-Valley
Les Cinq Pépins d’Orange
L’Homme à la Lèvre Tordue
L’Escarboucle Bleue
La Bande Tachetée
Le Pouce de l’Ingénieur
L’Aristocrate Célibataire
Le Diadème de Béryls
Les Hêtres Rouges
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Durant l'année 1902, les multiples informations provenant de Londres sur la misère noire qui y règne abondent et traversent l'Atlantique. Des informations parcellaires, contradictoires et si incroyables qu'un certain jeune écrivain américain nommé Jack London de juste 26 ans, décide de faire le voyage afin de s'immerger dans les bas fonds londoniens. Il réalise de l'intérieur, un terrible reportage sans concessions qu'il publie en 11 épisodes dans le Wilshire's magazine puis qui sera édité en livre, accompagné de 78 photographies faites par lui-même.C'est cette édition que nous vous proposons, dans la traduction de Louis Postif.
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Gravures sur bois de felix vallotton
Valloton Felix
- Editions l'Escalier
- 1 Octobre 2013
- 9782355831805
Extrait
... Mon grand plaisir, alors, était de me rendre chaque mardi matin au pied des escaliers Richelieu, chez notre « Comte Déchu » comme il aimait à se faire appeler.
Autour d’un café bien arrosé nous faisions voler les pages des revues invendues de la semaine précédente. Parcourant sans les voir les gros titres et les colonnes verbeuses, nos regards s’illuminaient soudain devant une de ces gravures dont nous étions si gourmets, ces gravures au noir trouant le papier comme par une simple évidence on creuse un puits en l’âme du faussaire ; ces gravures faites parfois sur un coin de temps, graves et tendres à la fois, ornées de ces deux lettres comme un paraphe de Force et de Vie : FV...
Lucien Morel – Équinoxe (1923) -
Table des matières
La Neige
La vieille Chéchette
Robin des Bois
L’Héritage du Grand-Père Blaise
Les dix sous de Marthe
Le Père Rémy
La famille Pouffard
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Lettres de guerre ; revues maintenant ; le bord de la mer
Jacques Vache, Arthur Cravan, Julien Torma
- Editions l'Escalier
- 1 Novembre 2011
- 9782355830662
Table des matières
JACQUES VACHÉ
Lettre 1 (à André Breton)
Lettre 2 (à André Breton)
Lettre 3 (à André Breton)
Lettre 4 (à André Breton)
Lettre 5 (à Théodore Fraenkel)
Lettre 6 (à André Breton)
Lettre 7 (à Théodore Fraenkel)
Lettre 8 (à André Breton)
Lettre 9 (à Théodore Fraenkel)
Lettre 10 (à André Breton)
Lettre 11 (à André Breton)
Lettre 12 (à Théodore Fraenkel)
Lettre 13 (à Louis Aragon)
Lettre 14 (à André Breton)
Lettre 15 (à André Breton)
Dessins
ARTHUR CRAVAN
Maintenant 1
Maintenant 2
Maintenant 3
Maintenant 4
Maintenant 5
JULIEN TORMA
Le Bord de la Mer
Côte
Pêche
A l'Ancre
Bordée
Carré
En Poupe
Naufrage
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Table des matières
Préface
Observations d’un Imbécile (moi)
Ambroise Thomas
Juste remarque
Mémoires d’un amnésique
Ce que je suis
Parfait entourage
Mes trois candidatures
Choses de théâtre
La journée du musicien
L’intelligence et la musicalité chez les animaux
Recoins de ma vie
Chronique musicale
Les “Six”
L ’origine d’instruction
Propos à propos d’Igor Strawinsky
Les “périmés”
Parlons à voix basse
Cahiers d’un mammifère
Extraits 1
Extraits 2
Extraits (de malt) 3
Cahier 4
Cahier 5
Cahier 6
Ecrits divers 1895-1924
Suprématiales I
Confrériales
Suprématiales II
Les musiciens de Montmartre
Notes sur la musique moderne
Note sans titre pour “Le Coq” I
Note sans titre pour “Le Coq” II
Pas de casernes
Ne confondons pas
Notes sans titre pour “Le Coq” III
Notes sans titre pour “Pilhaou-Thibaou” I
Eloge des critiques
Pensée pour “Fanfare”
A table
Office de la domesticité
Bouquinerie
De la lecture
Editions
Un très vieil homme de lettres
Pénibles exemples
Changement de saison
Les Ballets Russes à Monte-Carlo
La musique de “Relâche”
L’esprit musical
-
Noa Noa ; journal original de Paul Gauguin à Tahiti
Paul Gauguin
- Editions l'Escalier
- 1 Janvier 2011
- 9782355830273
Extrait
M'écartant du chemin qui borde la mer je m'enfonce dans un fourré qui va assez loin dans la montagne. Arrive dans une petite vallée. Là, quelques habitants qui veulent vivre encore comme autrefois. Tableaux Matamua "Autrefois" et Hina maruru.
Je continue ma route. Arrivé à Taravao (extrémité de l'île), le gendarme me prête son cheval. Je file sur la côte est, peu fréquentée par les Européens. Arrivé à Faaone petit district qui annonce celui d'Hitia, un indigène m'interpelle :
- Eh! L'homme qui fait des hommes (il sait que je suis peintre), viens manger avec nous! (Haere mai ta maha), la phrase hospitalière.
Je ne me fais pas prier, son visage est si doux. Je descends de cheval ; il le prend et l'attache à une branche, sans aucune servilité, simplement et avec adresse.
J'entre dans une maison où plusieurs hommes, femmes et enfants sont réunis, assis par terre, causant et fumant.
- Où vas-tu? me dit une belle Maorie d'une quarantaine d'années.
- Je vais à Hitia.
- Pour quoi faire?
Je ne sais pas quelle idée me traversa la cervelle. Je lui répondis :
- Pour chercher une femme. Hitia en a beaucoup et de jolies.
- Tu en veux une?
- Oui.
- Si tu veux je vais t'en donner une. C'est ma fille.
- Est-elle jeune?
- Eha ("oui").
- Est-elle jolie?
- Eha.
- Est-elle bien portante?
- Eha.
- C'est bien, va me la chercher.
Elle sortit un quart d'heure et tandis qu'on apportait le repas des maioré, des bananes sauvages et quelques crevettes, la vieille rentra suivie d'une grande jeune fille, un petit paquet à la main.
A travers la robe de mousseline rose excessivement transparente on voyait la peau dorée des épaules et des bras ; deux boutons pointaient dru à la poitrine. Son visage charmant me parut différent de celui des autres que j'avais vus dans l'île jusqu'à présent et ses cheveux poussés comme la brousse, légèrement crépus. Au soleil une orgie de chromes. Je sus qu'elle était originaire des Tonga.
Quand elle fut assise près de moi je lui fis quelques questions :
- Tu n'as pas peur de moi?
- Aita ("non").
- Veux-tu toujours habiter ma case?
- Eha.
- Tu n'as jamais été malade?
- Aita.
Ce fut tout. Et le coeur me battait tandis qu'elle, impassible, rangeait devant moi par terre sur une grande feuille de bananier les aliments qui m'étaient offerts. Je mangeais, quoique de bon appétit, timidement. Cette jeune fille, une enfant d'environ treize ans, me charmait et m'épouvantait : que se passait-il dans son âme? Et dans ce contrat si hâtivement conçu et signé j'avais la pudeur hésitante de la signature, moi presque un vieillard. -
La morale anarchiste ; la loi et l'autorité
Pierre Kropotkine
- Editions l'Escalier
- 1 Novembre 2011
- 9782355830075
Extrait
II
Lorsque nos aïeux voulaient se rendre compte de ce qui pousse l’homme à agir d’une façon ou d’une autre, ils y arrivaient d’une façon bien simple. On peut voir jusqu’à présent des images catholiques qui représentent leur ex- plication. Un homme marche à travers champs et, sans s’en douter le moins du monde, il porte un ange sur son épaule gauche et un ange sur son épaule droite. Le diable le pousse à faire le mal, l’ange cherche à l’en retenir. Et si l’ange a eu le dessus, et l’homme est resté vertueux, trois autres anges s’emparent de lui et l’emporte vers les cieux. Tout s’explique ainsi à merveille.
Nos vieilles bonnes d’enfants, bien renseignés sur ce chapitre, vous diront qu’il ne faut jamais mettre un enfant au lit sans déboutonner le col de sa chemise. Il faut laisser ouverte, à la base du cou, une place bien chaude, où l’ange gardien puisse se capitonner. Sans cela, le diable tourmenterait l’enfant jusque dans son sommeil.
Ces conceptions naïves s’en vont. Mais si les vieux mots disparaissent, l’essence reste toujours la même.
La gent éduquée ne croit plus au diable ; mais comme nos idées ne sont pas plus rationnelles que celles de nos bonnes d’enfants, elle déguise le diable et l’ange sous un verbiage scolastique, honoré du nom de philosophie. Au lieu de “diable“, on dira aujourd’hui “la chair, les passions“. “L’ange“ sera remplacé par les mots “conscience, ou âme“, “reflet de la pensée d’un Dieu créateur“ ou du “grand architecte“ comme disent les francs-maçons. Mais les actes de l’homme sont toujours représentés comme le résultat d’une lutte entre deux éléments hostiles. Et toujours, l’homme est considéré d’autant plus vertueux que l’un de ces deux éléments - l’âme ou la conscience- aura remporté plus de victoires sur l’autre élément - la chair ou les passions. -
Extrait
Chaque après-midi, en rentrant de l’école, les enfants avaient pris l’habitude d’aller jouer dans le jardin du Géant.
C’était un grand et ravissant jardin avec une douce herbe verte.
Çà et là, sur l’herbe, miroitaient de belles fleurs qui ressemblaient à des étoiles, et il y avait douze pêchers qui, au printemps, s’épanouissaient en délicates floraisons couleur de rose et de perle, et, en automne, portaient des fruits magnifiques. Les oiseaux, assis sur les arbres, chantaient si joliment que les enfants s’arrêtaient de jouer pour les écouter.
«Comme nous sommes heureux ici !» s’écriaient-ils.
Un jour, le Géant revint. Il était allé visiter son ami, l’Ogre de Cornouailles, et était resté sept ans avec lui. Au bout de sept ans, il avait dit tout ce qu’il avait à dire, car sa conversation était limitée, et il avait décidé de retourner dans son propre château.
Quand il arriva, il vit les enfants jouer dans le jardin.
«Que faites-vous ici ?»s’écria-t-il d’une voix très rude, et les enfants s’enfuirent. «Mon jardin à moi est mon jardin à moi, dit le Géant, tout le monde peut comprendre cela, et je ne laisserai personne d’autre que moi y jouer».
Et il construisit tout autour un mur très haut et mit un écriteau : Défense d'entrer sous peine de poursuites ! -
Le désert de Syrie et l'Euphrate ; récit d'un voyage en terre nomade
Comte De Perthuis
- Editions l'Escalier
- 1 Juin 2013
- 9782355831386
Table des matières
Introduction
Première partie
Chapitre I
Chapitre II
Chapitre III
Chapitre IV
Chapitre V
Chapitre VI
Chapitre VII
Seconde partie
Chapitre I
Chapitre II
Chapitre III
Chapitre IV
Chapitre V
Chapitre VI
Chapitre VII -
Cyrano-Guignol de Bergerac
Joseph des Verrieres, Lucien Sachoix
- Editions l'Escalier
- 1 Avril 2014
- 9782355831690
Extrait
La même voix
Voilà !... Qui qu’en désire ?...
La Miche, continuant
... qui vend le Passe-Temps, le Programme, là-bas ?
Le Bret
C’est Ragueneau-Gnafron... Vous ne connaissez pas ?...
Un ancien savetier qui n’a pas fait fortune,
Et qui, las de percer tant de trous dans la lune,
S’est fait — oui ! — pâtissier, rôtisseur, camelot !...
La voix
Demandez le Programme ! Il est très rigolo !...
La Miche, se tournant vers Terrenfrich
À propos, je vais vous apprendre une nouvelle :
J’ai reçu, ce matin, la promesse formelle
D’être nommé bientôt...
Terrenfrich
Vous le méritez bien !
La Miche
... Colonel des Cadets du Plateau Croix-Roussien !
Terrenfrich
Ce fameux régiment ?...
La Miche
Celui-là même !
Terrenfrich
Peste !...
La Miche, l’entraînant un peu vers la gauche
Et maintenant, mon cher, causons un peu... du reste !
Avez-vous vu Roxane ?...
Christian, qui a entendu
Hein ?... Que dit-il ?...
Terrenfrich
Mais... non...
Ou plutôt... si !... Je vous... Elle a... Mais à quoi bon
Vous mentir ?... Pauvre ami !
Ce n’est pas vous qu’elle aime !
La miche, avec colère
Mais qui donc aime-t-elle ?...
Christian, à part
Ah ! Peut-être moi-même !... -
Table des matières
It is more precious than emeralds, and dearer than fi ne opals. Pearls and pomegranates cannot buy it, nor is it set forth in the market-place. it may not be purchased of the merchants, nor can it be weighed out in the balance for gold.”
“The musicians will sit in their gallery,” said the young student, “and play upon their stringed instruments, and my love will dance to the sound of the harp and the violin. she will dance so lightly that her feet will not touch the fl oor, and the courtiers in their gay dresses will throng round her. But with me she will not dance, for i have no red rose to give her” and he fl ung himself down on the grass, and buried his face in his hands, and wept. -
Table des matières
Le Bon Petit Henri
I - La pauvre mère malade
II - Le Corbeau, le Coq et la Grenouille
III - La moisson
IV - La vendange
V - La chasse
VI - La pêche
VII - La plante de la vie
Histoire de la Princesse Rosette
I - La ferme
II - Rosette à la cour du roi son père première journée
III - Conseil de famille
IV - Deuxième journée
V - Troisième et dernière journée
La Petite Souris Grise
I - La maisonnette
II - La fée Détestable
III - Le prince Gracieux
IV - L’arbre de la rotonde
V - La cassette
Ourson
I - Le crapaud et l’alouette
II - Naissance et enfance d’Ourson
III - Violette
IV - Le rêve
V - Encore le crapaud
VI - Maladie et sacrifice
VII - Le sanglier
VIII - L’incendie
IX - Le puits
X - La ferme, le château, l’usine
XI - Le sacrifice
XII - Le combat
XIII - La récompense
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Sous la Commune ; souvenirs et récits d'un Parisien
Etienne Coquerel
- Editions l'Escalier
- 1 Juillet 2013
- 9782355831492
Extrait
7 avril
Aucune douleur n’aura été épargnée à notre malheureux pays. Depuis six jours, le canon tonne autour de Paris, le bruit strident des mitrailleuses, le pétillement de la fusillade se mêlent à ces lugubres roulements; une véritable bataille est engagée; les morts jonchent nos champs et les rues de nos villages; les blessés arrivent en nombre dans les ambulances, et, des deux côtés, ce sont des Français qui tombent, ce sont des Français qui s’entr’égorgent, tandis que le Prussien est là, encore à nos portes, tenant Paris sous le feu de ses canons, prêt à intervenir, quand il lui plaira, avec une force irrésistible. Aujourd’hui il écoute, froidement railleur, l’écho sanglant de nos discordes. Demain peut-être, il demandera Paris, ou la moitié de la France, pour gage de ses cinq milliards, pour garantie d’une créance dont la guerre civile lui paraîtra rendre le recouvrement douteux !
Jamais pays n’a subi une plus effroyable accumulation de malheurs; la plume tombe des mains lorsqu’on essaye de se figurer tout ce que ces sinistres événements représentent de souffrances individuelles, de deuils, de déchirements, et l’épouvantable misère qui attend l’immense population de Paris quand cette lutte fratricide aura pris fin, quelle qu’en soit l’issue. Si la Commune réussissait à chasser de Versailles l’Assemblée Nationale, qui a de bien graves torts à se reprocher, et le pouvoir exécutif auquel cette Assemblée a remis le gouvernement, ce triomphe même de la Commune la perdrait. Elle aurait, par sa victoire, détruit la confiance, aussi bien en France qu’au-dehors, et avec la confiance dans l’avenir du pays disparaîtraient le crédit et le travail, c’est-à-dire la possibilité de suffire aux écrasantes obligations du traité de paix. Aussi personne ne doute que le triomphe de l’armée de la Commune ne fût le signal d’une nouvelle invasion prussienne, plus implacable que jamais, et dont Paris serait la première victime. Il y a de mauvais Français, et il se peut que quelques-uns d’entre eux désirent voir les casques prussiens défiler dans nos rues pour y rétablir l’ordre, à la façon de M. de Bismarck. Pour nous, notre voeu le plus ardent, c’est que cette humiliation dernière nous soit épargnée à tout prix.
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Journal de l'expédition du Français en Antarctique, 1903-1905
Jean-baptiste Charcot
- Editions l'Escalier
- 1 Juillet 2012
- 9782355831041
Matha, sur un des promontoires de la baie Nord, la pointe de Vanssay, se livre avec Rallier du Baly à la mensuration exacte et très minutieuse d'une base. Turquet empaille, met en bocaux, étiquette tout ce qu'il trouve ou ce qu'on lui apporte?; Gourdon classe ses cailloux, Rey vérifie ses instruments, et Pléneau, toujours gaiement, avec un entrain et une verve intarissables, aide à tout, donne un coup de main à chacun, tantôt à l'état-major, tantôt à l'équipage.
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Extrait
À SOI-MÊME
Journal (1867-1915)
NOTES SUR LA VIE, L’ART ET LES ARTISTES
1867-1868 — Si par enchantement ou par la puissance d’une baguette magique vous pouviez voir ce qui se passe dans un petit atelier des Allées d’Amour, entre ces quatre petits murs témoins de tant d’erreurs et de fautes, de tant de lassitude et de défaillances, vous seriez étonné de la nouveauté de son aspect et de cette atmosphère toute nouvelle d’étude et de travail que l’on y respire. Si l’on entend par génie le désir de faire si simple, si large, que la nature même soit traduite dans une mesure insensée, mais grandiose, j’en ai.
15 octobre — Je suis à la campagne depuis un mois; mon impression est celle que j’ai toujours eue, il y a longtemps, avant que la beauté de l’art m’ait été révélée. Un grand bien-être physique, d’abord, ce qui n’est pas à dédaigner; ensuite, une disposition d’âme excellente qui influe sur le caractère et nous rend véritablement meilleurs.
Donc, pour le moment je suis content; je travaille. L’isolement de l’objet aimé fait son éclat et sa force. Il grandit, il s’impose et prend plus que partout la loi de son empire. Les hommes officiels se croient puissants parce qu’ils décernent des médailles, des récompenses.
Un artiste est puissant quand il a des imitateurs. Nul n’a reçu de diplômes des mains de Millet, Courbet, Rousseau, et que de peintres ont reçu d’eux cette influence directe et dominatrice qui les entraîne à eux quand même.
Il y a un livre à faire sur l’Apothéose.
Les jurés officiels de peinture vous recommandent officieusement de présenter au Salon des oeuvres importantes. Qu’entendent-ils par ce mot-là ? Un ouvrage d’art est important par la dimension, l’exécution, le choix du sujet, le sentiment, ou par la pensée. Le principe du nombre n’entre pour rien dans les jugements portés sur le beau. Toute oeuvre reconnue bonne et belle par un seul juré devrait être admise. Le Salon n’aura de diversité que lorsqu’il sera formé selon ce mode.
Que de désillusions en approchant très près d’un homme de génie! Quelle illusion éternelle et intarissable le génie garde à l’égard des autres hommes !
Par la vision des murs de nos cathédrales, comme par celle des marbres de la Grèce ou de l’Égypte, partout où l’homme civilisé ou sauvage a vécu, nous revivons par l’art sa vie morale la plus haute; nous la revivons spontanément, radieusement et c’est une résurrection prodigieuse.
En somme, il faut souffrir, et l’art console; il est un baume. Et cet oubli que nous trouvons dans la recherche heureuse fait notre richesse, notre noblesse, notre fierté.
Ma vie dérogea peu de certaines habitudes coutumières, les déplacements rares que je fis ne m’ont pas permis d’interroger davantage les lois de mon expansion. Nos jours ont alterné entre la ville et la campagne; celle-ci me reposant toujours, me donnant, avec les forces physiques, des illusions nouvelles; celle-là, et surtout Paris, m’assurant le tremplin intellectuel sur lequel tout artiste doit s’exercer sans cesse; elle me donna surtout la conscience dans la direction de l’effort aux heures d’étude et de jeunesse : autant il est bon de s’abandonner quand on crée, autant encore il est bien de savoir ce qu’il est bien d’aimer et où l’esprit s’envole.
Rembrandt me donna des surprises d’art toujours nouvelles. Il est le grand facteur humain de l’infini de nos extases. Il a donné la vie morale à l’ombre. Il a créé le clair-obscur comme Phidias la ligne.
Et tout le mystère que comporte la plastique n’est désormais possible que par lui, pour le nouveau cycle d’art qu’il a ouvert hors de la raison païenne.
Je n’ai vraiment aimé la peinture et mon art que lorsque — le pli étant fait — après des efforts en plusieurs sens, j’ai senti, je ne dis pas la virtuosité, mais tout ce que me donnaient d’imprévu et de surprises mes propres inventions : comme si leur résultat eût dépassé mes espérances. J’ai lu quelque part que le pouvoir de mettre ainsi dans un ouvrage plus de signification qu’on désirait soi-même et de surpasser en quelque sorte son propre désir par l’imprévu du résultat n’est donné qu’aux êtres de sincérité et de loyauté entières, à ceux qui portent dans leur âme autre chose que leur art même. Je le croirais aussi : il leur faut le souci de la vérité, peut-être le don de pitié, ou d’en souffrir.
L’art serait-il un étai, un soutien de la vie expansive, et supposeraitil que, bornés et faibles, nous avons besoin de son appui !
Communion sublime avec toute l’âme du passé. Patrimoine grandiose de l’humanité défunte.
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L'orfeo - orphee et eurydice (edition bilingue)
Striggio Alessandro
- Editions l'Escalier
- 1 Juin 2015
- 9782355831812
Extrait
PROLOGUE
Ritournelle
LA MUSIQUE
Des rives de mon bien aimé Permesso, je viens à vous
Illustres héros, noble lignée de rois,
Dont la renommée conte les sublimes vertus
Sans atteindre à la vérité tant elles sont élevées.
Je suis la Musique, et par mes doux accents
Je sais apaiser les coeurs tourmentés,
Et enflammer d’amour ou de noble courroux
Même les esprits les plus froids.
M’accompagnant d’une cithare d’or, j’ai coutume
D’enchanter l’oreille des mortels ;
Et, à m’entendre, leur âme aspire
Aux sons harmonieux de la lyre du ciel.
C’est le désir de vous parler d’Orphée qui m’a conduite ici,
Orphée qui de son chant apprivoisait les bêtes féroces
Et fit céder l’Enfer à ses prières,
Orphée, gloire immortelle du Pinde et de l’Hélicon.
Et tandis que je fais alterner les chants tristes aux gais,
Qu’à présent nul oiseau ne bouge dans ces arbres,
Que tous les flots sur ces rives se taisent,
Et que la moindre brise en sa course s’arrête -
Communisme et anarchie ; l'esprit de révolte
Pierre Kroptokine
- Editions l'Escalier
- 1 Juin 2015
- 9782355831829
Extrait
L’importance de la question a à peine besoin d’être rappelée. Beaucoup d’anarchistes et de penseurs en général, tout en reconnaissant les immenses avantages que le communisme peut offrir à la société, voient dans cette forme d’organisation sociale un danger pour la liberté et le libre développement de l’individu. D’autre part, prise dans son ensemble, la question rentre dans un autre problème, si vaste, posé dans toute son étendue par notre siècle : la question de l’Individu et de la Société.
Le problème a été obscurci de diverses façons. Pour la plupart, quand on a parlé de communisme, on a pensé au communisme plus ou moins chrétien et monastique, et toujours autoritaire, qui fut prêché dans la première moitié de ce siècle et mis en pratique dans certaines communes. Celles-ci, prenant la famille pour modèle, cherchaient à constituer « la grande famille communiste », à « réformer l’homme », et imposaient dans ce but, en plus du travail en commun, la cohabitation serrée en famille, l’éloignement de la civilisation actuelle, l’isolement, l’intervention des « frères » et des « sœurs » dans toute la vie psychique de chacun des membres. En outre, distinction suffisante ne fut pas faite entre les quelques communes isolées, fondées à maintes reprises pendant ces derniers trois ou quatre siècles, et les communes nombreuses et fédérées qui pourraient surgir dans une société en voie d’accomplir la révolution sociale.
Il faudrait donc, dans l’intérêt de la discussion, envisager séparément :
• La production et la consommation en commun;
• La cohabitation (est-il nécessaire de la modeler sur la famille actuelle ?) ;
• Les communes isolées de notre temps;
• Les communes fédérées de l’avenir;
• Et enfin, comme conclusion : le communisme amène-t-il nécessairement avec lui l’amoindrissement de l’individu ? Autrement dit : l’Individu dans la société communiste -
Extrait
Paris. Un petit salon au cinquième. Ce qu’une femme, qui a beaucoup aimé et ne s’est pas enrichie, peut y mettre d’intimité, de bibelots offerts, de meubles disparates. Cheminée au fond. Porte tenture à gauche. Table à droite. Pouf au milieu. Un piano ouvert. Fleurs bon marché. Quelques cadres au mur. Feu de bois. Une lampe allumée.
Blanche, puis Maurice. Blanche est assise à sa table. Robe d’intérieur. Vieilles dentelles, c’est son seul luxe, tout son héritage. Elle a fouillé ses tiroirs, brûlé des papiers, noué la faveur d’un petit paquet, et pris dans une boîte une lettre ancienne qu’elle relit. Ou plutôt, elle n’en relit que des phrases connues. Celle-ci l’émeut jusqu’à la tristesse. Une autre lui fait hocher la tête. Une autre enfin la force à rire franchement. On sonne. Blanche remet, sans hâte, la lettre dans sa boîte, et la boîte dans le tiroir de la table. Puis elle va ouvrir elle-même. Maurice entre. Dès ses premières phrases et ses premiers gestes, on sent qu’il est comme chez lui.
MAURICE, il appuie sur les mots: Bonjour, chère et belle amie.
BLANCHE, moins affectée: Bonjour, mon ami. (Maurice veut l’embrasser par habitude, politesse, et pour braver le péril. Elle recule.) Non.
MAURICE: Oh! en ami.
BLANCHE: Plus maintenant.
MAURICE: Je vous assure que ça ne me troublerait pas.
BLANCHE: Ni moi : précisément : c’est inutile... Avez-vous terminé vos courses ? -
Souvenirs Tome 3 ; 1796-1835
Louise-Elisabeth Vigee-Lebrun
- Editions l'Escalier
- 1 Janvier 2012
- 9782355830853
Extrait
CHAPITRE II
Portrait de l’impératrice Marie - Les grands-ducs - Le grand archimandrite - Fête à Péterhoff - Le roi de Pologne - Sa mort - Joseph Poniatowski.
L’empereur m’avait commandé de faire le portrait de l’impératrice sa femme, que je représentai en pied, portant un costume de cour et une couronne de diamants sur la tête. Je n’aime point à peindre des diamants, le pinceau ne saurait en rendre l’éclat. Toutefois, en faisant pour fond un grand rideau de velours cramoisi, qui me donnait un ton vigoureux dont j’avais besoin pour faire ressortir la couronne, je parvins à la faire briller autant que possible. Lorsque je fis venir ce tableau chez moi pour terminer les accessoires, on voulut me prêter avec l’habit de cour tous les diamants qui l’ornaient; mais il y en avait pour une somme si considérable, que je refusai cette marque de confiance qui m’aurait fait vivre dans l’inquiétude; je préférai les peindre au palais, où je fis reporter mon tableau.
L’impératrice Marie était une fort belle femme; et son embonpoint lui conservait de la fraîcheur. Elle avait une taille élevée, pleine de noblesse, et de superbes cheveux blonds. Je me souviens de l’avoir vue dans un grand bal, ses beaux cheveux bouclés retombant de chaque côté sur ses épaules et le dessus de la tête couronné de diamants. Cette grande et belle personne s’élevait majestueusement près de Paul qui lui donnait le bras, ce qui formait un contraste frappant. Le plus beau caractère se joignait à tant de beauté : l’impératrice Marie était vraiment la femme de l’Évangile, et ses vertus étaient si bien connues qu’elle offre peut-être le seul exemple d’une femme que la calomnie n’osa jamais attaquer. J’avoue que j’étais fière de me trouver honorée de ses bontés et que j’attachais un grand prix à la bienveillance qu’elle me témoignait en toute occasion.
Nos séances avaient lieu aussitôt après le dîner de la cour, en sorte que l’empereur et ses deux fils, Alexandre et Constantin, y assistaient habituellement. Ceci ne me causait aucune gêne, attendu que l’empereur, le seul qui aurait pu m’intimider, était fort aimable pour moi. Un jour que l’on vint servir le café, comme j’étais déjà à mon chevalet, il m’en apporta lui-même une tasse, puis il attendit que je l’eusse bue pour la reprendre et la reporter. Il est vrai qu’une autre fois il me rendit témoin d’une scène assez burlesque. Je faisais placer un paravent derrière l’impératrice pour me donner un fond tranquille. Dans un moment de repos, Paul se mit à faire mille gambades, absolument comme un singe; grattant le paravent et faisant mine de l’escalader. Ce jeu dura longtemps. Alexandre et Constantin me paraissaient souffrir de voir leur père faire des tours aussi grotesques, devant une étrangère et moi-même j’étais mal à l’aise pour lui.
Pendant l’une des séances, l’impératrice fit venir ses deux plus jeunes fils, le grand-duc Nicolas et le grand-duc Michel. Je n’ai jamais vu un plus bel enfant que le grand-duc Nicolas2. Je pourrais encore, je crois, le peindre de mémoire aujourd’hui, tant j’admirai ce charmant visage qui avait tous les caractères de la beauté grecque.
Je conserve de même le souvenir d’un type de beauté, dans un tout autre genre, puisqu’il s’agit d’un vieillard. Quoique l’empereur soit en Russie le chef suprême de la religion aussi bien que celui de l’administration et de l’armée, le pouvoir religieux est exercé sous lui par le premier pope, que l’on appelle “le grand archimandrite”, et qui est à peu près pour les Russes ce que le pape est pour nous. Depuis que j’habitais Pétersbourg, j’avais souvent entendu parler du mérite et des vertus de celui qui remplissait alors cette fonction, et un jour, plusieurs personnes de ma connaissance qui allaient le voir, m’ayant proposé de me mener avec elles, j’acceptai l’offre avec empressement. De ma vie je ne me suis trouvée en présence d’un homme dont l’aspect m’ait autant imposé. Sa taille était grande et majestueuse; son beau visage, dont tous les traits avaient une régularité parfaite, offrait à la fois une expression de douceur et de dignité qu’on ne saurait peindre, et une longue barbe blanche, qui tombait plus bas que la poitrine, ajoutait encore au caractère vénérable de cette superbe tête. Son costume était simple et noble. Il portait une longue robe blanche, coupée du haut en bas sur le devant par une large bande d’étoffe noire sur laquelle ressortait admirablement la blancheur de sa barbe et sa démarche, ses gestes, son regard, enfin tout en lui imprimait le respect dès le premier abord.
Le grand archimandrite en effet était un homme supérieur. Il avait beaucoup d’esprit, une prodigieuse instruction; il parlait plusieurs langues, et, en outre, ses vertus et sa bonté le faisaient chérir de tous ceux qui l’approchaient. La gravité de son état ne l’avait jamais empêché de se montrer aimable et gracieux avec le grand monde. Un jour, une des princesses Galitzine, qui était fort belle, l’ayant aperçu dans un jardin, courut se jeter à genoux devant lui. Le vieillard aussitôt cueillit une rose avec laquelle il lui donna sa bénédiction. Un de mes regrets, en quittant Pétersbourg, était celui de n’avoir point fait le portrait de l’archimandrite; car je ne crois pas qu’un peintre puisse rencontrer un plus beau modèle.